Joseph Kessel – L’armée des ombres

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l'armée des ombres

Quatrième de couverture :

Londres, 1943, Joseph Kessel, écrit L’armée des ombres, le roman-symbole de la Résistance que l’auteur présente ainsi : »La France n’a plus de pain, de vin, de feu. Mais surtout elle n’a plus de lois. La désobéissance civique, la rébellion individuelle ou organisée sont devenues devoirs envers la patrie. (…). Jamais La France n’a fait guerre plus haute et plus belle que celle des caves où s’impriment ses journaux libres, des terrains nocturnes et des criques secrètes où elle reçoit ses amis libres d’où partent ses enfants libres, des cellules de torture où malgré les tenailles, les épingles rougies au feu et les os broyés, des Français meurent en hommes libres. Tout ce qu’on va lire ici a été vécu par des gens de France. »

Mon avis :

Un livre extrêmement poignant, fort, d’une grande  humilité et qui porte la Résistance pendant la Seconde Guerre Mondiale à la hauteur de toute sa grandeur, qui nous montre diverses visages de français qui se battent pour la liberté, dans l’ombre, bien qu’ils savent à l’avance qu’ils peuvent aller, dans la plupart des cas, directement à la mort. La fraternité dans toute sa splendeur. On revit toute la monstruosité que l’homme peut revêtir, par les tortures, toute sa manipulation, toute sa perversité et toute sa lâcheté.

La préface de ce livre est magnifique et démontre toute l’humilité et la sobriété de Joseph Kessel.

Dans ce livre, nous suivons le parcours de plusieurs personnes ordinaires, de toutes origines, de tous milieux, portés par une même voix, portés par le même espoir et qui choisissent de se défendre, de ne pas subir et de se sacrifier pour leurs convictions. Gerbier, ingénieur des ponts et chaussées, qui fait partie de l’état major d’un des groupements de la Résistance, est arrêté et enfermé dans un camp. Il y rencontrera Legrain, qui ne connait même pas la Résistance étant arrivé dans le camp bien avant qu’elle soit créée. A travers le récit de Gerbier il voudra les rejoindre et fera évader ce dernier, bien que lui ne pourra finalement pas partir. « Mais pour celui qui a senti cet éveil, ce premier frémissement, c’était la chose la plus émouvante du monde. C’était la sève de la liberté, qui commençait à sourdre à travers la terre française. Alors les Allemands et leurs serviteurs et le vieillard, ont voulu extirper la plante sauvage. Mais plus ils en arrachaient, et mieux elle poussait. Ils ont empli les prisons. Ils ont multiplié les camps. Ils se sont affolés. Ils ont enfermés le colonel, le voyageur de commerce, le pharmacien. Et ils ont eu encore plus d’ennemis. Ils ont fusillé. Or, c’était de sang que la plante avait surtout besoin pour croître et se répandre. Le sang a coulé. Le sang coule. Il va couler à flots. Et la plante deviendra forêt.(…) Celui qui entre en résistance vise l’Allemand. Mais en même temps il frappe Vichy et son vieillard, et les séides de vieillard, et le directeur de notre camp, et les gardiens que tu vois chaque jour à l’ouvrage. La résistance, elle est tous les hommes français qui ne veulent pas qu’on fasse de la France des yeux morts, des yeux vides. »

Nous suivrons alors Gerbier, et rencontrerons beaucoup de ces humbles et différents hommes et femmes qui auront décidés de défendre la liberté, quoiqu’il puisse leur en coûter, en passant par leurs réussites, à leurs arrestations, à leurs tortures, à leurs mises à mort, mais toujours avec une grandeur d’âme et d’être saisissante. Nous aimerons Legrain, Félix la tonsure, Jean-François, Mathilde, Lemasque, Saint-Luc et tant d’autres…. Dans la narration est intégrée les notes de Gerbier qui le font parler à la première personne, ce qui rend encore plus émouvant ce qu’il écrit de son travail de résistant et ce qu’il y voit, ressent et vit.

Je ne vais pas raconter davantage ce qu’il se passe dans le livre car le mieux est d’en prendre possession, pour vivre avec tous ces gens simples et vibrants d’amour de leur pays, la grande émotion, la grande admiration pour un peuple qui s’est soulevé en une seule et même force, alliant chrétiens, juifs, communistes, ouvriers etc, dévoué et se sacrifiant pour un seul et même but : la liberté.

Je ne peux que vous recommander cet ouvrage qui est un magnifique éloge à la Résistance et qui est superbement écrit. J’ai été vraiment émue et admirative. C’est un coup de coeur.

coup de coeur

Quelques citations :

« Ces gens auraient pu se tenir tranquilles. Rien ne les forçait à l’action. La sagesse, le bon sens leur conseillait de manger et de dormir à l’ombre des baïonnettes allemandes et de voir fructifier leurs affaires, sourire leurs femmes, grandir leurs enfants. Les liens matériels et les biens de la tendresse étroite leur étaient ainsi assurés. Ils avaient même pour apaiser et bercer leur conscience, la bénédiction du vieillard de Vichy. Vraiment, rien ne les forçait au combat, rien que leur âme libre. »

« Ce n’était pas la faut de Paul Dounat s’il allait mourir et ce n’était pas la faute de ceux qui l’assassinaient. Le seul, l’éternel coupable, était l’ennemi qui imposait aux français la fatalité de l’horreur. »

« Je n’oublierai pas son rire. On l’entendait à peine, mais il avait un son si tendre, si pur et si convaincu, il éclairait d’une telle lumière d’enfance le visage d’un  homme fait, qu’on se prenait d’admiration et d’envie pour celui qui, à son âge, pouvait rire de la sorte. On eût dit qu’il apprenait soudain ce que l’univers offrait d’amusant et qui’l riait de s’entendre rire. C’était d’un charme extraordinaire. »

« La France est une prison. On y sent la menace, la misère, l’angoisse, le malheur comme une voûte pesante et qui s’affaisse chaque jour davantage sur les têtes. La France est une prison, mais l’illégalité est une évasion extraordinaire. Les papiers ? On les fabrique. Les tickets d’alimentation ? On les vole, dans les mairies. Voitures, essence ? On les prend aux Allemands. Gêneurs ? On les supprime. Les lois, les règles l’existent plus. L’illégal est une ombre qui glisse à travers leur réseau. Plus rien n’est difficile, puisque l’on a commencé par le plus difficile : négliger ce qui est essentiel : L’instinct de la conservation. »

« Je crois que chez les gens de la résistance, il se produit une évolution en ses inverse selon les tempéraments. Ceux qui étaient doux, tendres, pacifiques, se durcissent. Ceux qui étaient durs comme je l’étais, comme je le suis encore, deviennent plus perméables aux sentiments. L’explication ? Peut-être les gens qui voyaient la vie sous des couleurs riantes se défendent par une sorte de bouclier intérieur au contact des réalités souvent affreuses que découvre la résistance. Et peut-être les gens qui avaient comme moi une vue assez pessimiste de l’homme s’aperçoivent dans la résistance que l’homme vaut bien mieux que ce qu’ils pensaient de lui. »

Biographie : (wikipédia) j’ai volontairement mis la biographie complète car je la trouve intéressante, la personne l’étant particulièrement. 

Joseph Kessel (10 février 1898, Villa ClaraEntre RíosArgentine – 23 juillet 1979, AvernesVal-d’Oise) est un aventurier, journaliste, grand reporter et romancier français.

Fils de Samuel Kessel, médecin juif d’origine lituanienne (à l’époque en Russie impériale) qui vint passer son doctorat à Montpellier, puis partit exercer en Amérique du Sud, Joseph Kessel vécut en Argentine ses tout premiers mois, pour être emmené ensuite de l’autre côté de la planète, à Orenbourg, dans l’Oural, berceau de sa mère (née Raïssa Lesk), où ses parents résidèrent de 1905 à 1908, avant de revenir s’installer en France.

Il fit ses études secondaires au lycée Félix-Faure (aujourd’hui lycée Masséna), à Nice, ensuite au lycée Louis-le-Grand, à ParisInfirmierbrancardier durant quelques mois en 1914, il obtint en 1915 sa licence de lettres et se trouva engagé, à dix-sept ans, au Journal des débats, dans le service de politique étrangère.

Tenté un temps par le théâtre, reçu en 1916 avec son jeune frère, Lazare (1899-1920) dit Lola, et père de Maurice Druon, au Conservatoire, il fit quelques apparitions comme acteur sur la scène de l’Odéon. Mais à la fin de cette même année, Joseph Kessel choisissait de prendre part aux combats, et s’enrôlait comme engagé volontaire, d’abord dans l’artillerie, puis dans l’aviation, où il allait servir au sein de l’escadrilleS.39. De cet épisode, il tirerait plus tard le sujet de son premier grand succès, L’Équipage. Il termina la guerre par une mission en Sibérie en passant par les États-Unis, puis Vladivostok.

Avec Georges Suarez et Horace de Carbuccia, il fonda en 1928, à Paris, un hebdomadaire politique et littéraire, le GringoireRomain Gary, qui deviendra plus tard son ami, y publia même deux nouvelles à ses débuts, L’Orage (le 15 février 1935), puis Une petite femme (le 24 mai 1935), sous son véritable nom, Roman Kacew. Joseph Kessel fut également membre du jury du prix Gringoire, fondé par l’hebdomadaire, parmi d’autres écrivains de l’époque et sous la présidence de Marcel Prévost. Lorsque le journal, « fortement orienté à droite, puis à l’extrême-droite », afficha des idées fascistes et antisémites, Gary renonça à envoyer ses écrits.

Kessel appartenait à la grande équipe qu’avait réunie Pierre Lazareff à Paris-Soir, et qui fit l’âge d’or des grands reporters. Correspondant de guerre pendant la guerre d’Espagne, puis durant la drôle de guerre, il rejoignit après la défaite la Résistance au sein du réseau Carte, avec son neveu Maurice Druon. C’est également avec celui-ci qu’il franchit clandestinement les Pyrénées pour gagner Londres et s’engager dans les Forces aériennes françaises libres du général de Gaulle.

En mai 1943, dans l’enceinte du pub de Coulsdon The White Swan dans la banlieue sud de Londres, l’oncle Kessel et son neveu Druon composent les paroles françaises du « Chant des Partisans » qui deviendra le chant de ralliement de la Résistance, et Kessel publie, en hommage à ces combattants, L’Armée des Ombres. Il finit la guerre, capitaine d’aviation, dans une escadrille qui, la nuit, survole la France pour maintenir les liaisons avec la Résistance et lui donner des consignes.

À la Libération, il reprend son activité de grand reporter. Il est l’un des journalistes qui assistent au procès de Nuremberg, pour le compte de France-Soir, et voyage en Palestine. Il reçoit le premier visa du tout nouvel état d’Israël quand il se pose à Haïfa, le 15 mai 1948.

Il continue ses voyages, ces fois-ci, en Afrique, en Birmanie, en Afghanistan. C’est ce dernier pays qui lui inspire son chef-d’œuvre romanesque, Les Cavaliers (1967).

Entre-temps, il avait publié Les Amants du Tage, La Vallée des Rubis, Le Lion, Tous n’étaient pas des anges, et il ferait revivre, sous le titre Témoin parmi les hommes, les heures marquantes de son existence de journaliste.

En 1950 paraît Le Tour du Malheur, livre comportant quatre volumes. Cette fresque épique, que l’auteur mit 20 ans à mûrir (cf. avant propos), contient de nombreux éléments de sa vie personnelle et occupe une place à part au sein de son œuvre. Elle dépeint les tourments d’une époque (la Grande Guerre puis l’entre-deux-guerres), des personnages sans commune mesure dans leurs excès et une analyse profonde des relations humaines.

Consécration ultime pour ce fils d’émigrés juifs, l’Académie française lui ouvre ses portes. Joseph Kessel y est élu le 22 novembre 1962, au fauteuil du duc de La Force, par 14 voix contre 10 à Marcel Brion, au premier tour de scrutin. Il tient à faire orner son épée d’académicien d’une étoile de David.

« Pour remplacer le compagnon dont le nom magnifique a résonné glorieusement pendant un millénaire dans les annales de la France, dont les ancêtres grands soldats, grands seigneurs, grands dignitaires, amis des princes et des rois, ont fait partie de son histoire d’une manière éclatante, pour le remplacer, qui avez-vous désigné ? Un Russe de naissance, et juif de surcroît. Un juif d’Europe orientale… vous avez marqué, par le contraste singulier de cette succession, que les origines d’un être humain n’ont rien à faire avec le jugement que l’on doit porter sur lui. De la sorte, messieurs, vous avez donné un nouvel et puissant appui à la foi obstinée et si belle de tous ceux qui, partout, tiennent leurs regards fixés sur les lumières de la France. »

Citons encore ce bel hommage rendu à Joseph Kessel par François Mauriac, dans son Bloc-notes : « Il est de ces êtres à qui tout excès aura été permis, et d’abord dans la témérité du soldat et du résistant, et qui aura gagné l’univers sans avoir perdu son âme. »

Il meurt d’une rupture d’anévrisme le 23 juillet 1979, à l’âge de 81 ans.

Cette lecture a été faite dans le cadre du challenge « Un mot, des titres » organisé par Calypso, proposant de trouver un livre dont le titre comporte un mot qui a été préalablement tiré au sort. Pour cette session, c’était le mot Ombre. Cela m’a permis de découvrir cet écrivain talentueux que je vais, sans aucun doute, continuer à découvrir. Retrouvez toutes les participations en cliquant ICI.

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J’inscris également cette lecture au challenge de Denis « Les lectures francophones d’ailleurs »

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