Thomas Vinau – Nos cheveux blanchiront avec nos yeux
ByLe voyage géographique et intime d’un jeune homme qui devient père. Walther quitte la femme qu’il aime pour aller vagabonder du nord au sud, des Flandres laiteuses jusqu’à l’Espagne éclatante. Un voyage qui finira par le ramener presque par hasard à l’essentiel, vers celle qui a su le laisser partir et attendre leur enfant…
Walther a décidé de partir et Sally, sa femme, le laisse faire. Il ne sait pas trop où. Il se fait tout d’abord embaucher sur un chalutier pour aller en Norvège. Il débarque sur une île mais se rend compte que de vivre toujours pendant la nuit ne lui convient pas alors il part. Direction Amsterdam, puis Prague, puis Bruxelles et cetera. Il voyage et rencontre des gens, des gens sympathiques, accueillants. Il vagabonde au gré de ses envies. Il va recueillir un oisillon qu’il tire des griffes d’un chat. Pec l’accompagnera désormais et Walther décidera de l’amener vers le sud, là où les oiseaux préfèrent vivre lui dit-on. Il écrit régulièrement à sa femme, à qui il lui raconte ses jours. Elle lui manque. Au cours de son voyage il rencontre une vieille dame qui le conduit à Sète et le loge quelques temps. Cette femme s’est prise de passion pour Pec, son oiseau. Mais elle découvre que cet oiseau est un merle et que les merles ne migrent pas. Malgré cela, Walther décide de continuer son chemin et d’aller vers le sud. Cette vieille dame a de l’affection pour lui et est charitable. Elle lui prépare son paquet et lui remet un « rouleau de billet » qu’il ne veut accepter, mais elle insiste « Ne fais pas semblant, mon garçon, dit-elle, et sois un peu charitable avec les rêves d’une vieille dame. Sur le quai, il la serre dans les bras et lui répond : C’est un honneur pour moi de faire partie de vos rêves. » Il descend plus au sud, jusqu’à Gibraltar, et c’est là qu’il se rend compte que son voyage est terminé, il n’a plus besoin d’aller plus loin. Il est temps pour lui de retrouver sa femme enceinte. C’était là la première partie du roman, le narrateur décrit les évènements. Walther ne raconte pas ici.
C’est dans la deuxième partie que le narrateur est Walther, un récit donc à la première personne. Il nous fait part de ses pensées profondes, de sa situation de père, de ses interrogations, de sa difficulté à vivre dans le monde. Walther ne trouve pas vraiment sa place et reste toujours accroché à son enfance, la regrettant profondément, il s’y sentait mieux. Malgré cela, l’amour pour sa femme et son fils est ce qui le sauve. Il voit un sens à sa vie dans ces instants de vie, aussi futiles soient-ils, aussi insignifiants soient-ils. « Sur les doigts de la main, je compte ce qui me sépare du néant. (il fait une énumération de plusieurs choses). Finalement la liste est longue des superbes insignifiances qui me tiennent debout.« C’est un homme dépressif, suicidaire, mais qui trouve au final le goût de la vie dans son rôle de père « C’est bien d’accepter de grandir. C’est bien d’accepter d’assumer. Sinon à partir d’un certain âge, cela reviendrait à refuser de commencer à être. Cela reviendrait à refuser de vivre. Et c’est plutôt mieux de vivre, non ? » ; et dans l’écriture « l’écriture pour moi a été un moyen d’être compatible avec l’existence. De me concilier avec le monde. » Il tente de coucher sur papier ses sentiments, ses émotions, ses peurs, pour essayer de remettre un ordre, une stabilité à quelque chose de « bancal ». C’est un contemplatif et donc un amoureux de la nature, ce qui lui permet de compenser avec le désamour qu’il porte sur l’homme. « J‘ai de l’amour à revendre pour la nature périssable et du dégoût à offrir à n’importe lequel de mes semblables. Nous sommes des petits chiots qui jouent à déchiqueter le monde. » Il a trouvé quelque part sa raison de vivre et se bat tous les jours intérieurement pour y croire. Petit à petit il trouve sa paix. Sa famille l’a sauvé « Je t’entends respirer paisiblement. J’entends son souffle aussi, dans son berceau. Je respire vos respirations dans le confort bleu de la nuit. Je m’endors.«
Ce roman court (91 pages en poche) est un vrai coup de coeur pour moi. C’est même plus que ça, il m’a bouleversé, je m’y suis retrouvée pour certaines choses, il m’a parlé, j’en ai été émue profondément. Il est construit avec de tous petits paragraphes, tous sont titrés. On penserait presque à de courts poèmes, mais surtout dans la deuxième partie. C’est d’ailleurs la deuxième partie qui m’a transportée et bouleversée. Elle est bien plus poétique que la première et du fait que la narration soit à la première personne cela donne une plus grande intensité au propos, selon moi. Cet homme a eu besoin de partir un temps pour mieux revenir, pour comprendre l’amour qu’il a pour sa femme et pour se préparer surement à sa paternité, retrouver l’essentiel. C’est un homme qui pleure son enfance, la perte et la mort et qui apprend à vivre avec ses souvenirs et à tourner les pages. C’est un homme rempli de paradoxes et de sentiments contradictoires, aux antipodes selon le sujet. Il a un dégoût profond pour une face du monde et un amour absolu pour la nature et sa vie nouvelle, même si elle lui fait peur (le paradoxe). Il parle de la vie, il parle de la mort, il parle de la joie, il parle de la tristesse et cetera. « Tout ça s’accommode malgré tout, dans le même tourbillon de vie et de mort, de peine et de lumière, d’os et de jouets d’enfant, qui constitue le délicat chaos de nos vies. » C’est un homme sensible et qui est très clairvoyant quant à la dureté de la vie, qui est éprouvé par ses peurs. Mais il sait que cela fait partie du jeu et il a décidé d’aller de l’avant. « Le temps qui manque, ce précipice. Et d’autres fois plus rien qui avance. L’impression persistante d’habiter dans une faille. Le soir, casser des brindilles, souffler sur des braises et recoller les morceaux« .
J’ai ressenti avec force sa peine, sa mélancolie, ses regrets, son enfance perdue, son questionnement quant à la légitimité de sa vie m’a troublée. Et en face, l’amour fou pour sa femme, son fils, ses deux raisons de vivre. Il apprivoise sa nouvelle vie et il goûte avec délectation ces moments. Mais aussi son amour pour l’écriture, l’écriture salvatrice. Il est marqué de façon indélébile par la perte de son passé, cette douceur de vivre enfuie. Mais pour lui une nouvelle vie commence, un deuil est fait. « Le petit avait faim. J’aurais voulu lui peler le soleil naissant comme un fruit bien juteux. Lui faire goûter la crème épaisse du nouveau ciel. Nous avons joué ensemble, tous les deux, juste avant le jour. Ceux que nous aimons sont en paix. Nous avons le monde à manger. »
Je vous le conseille fortement !! Des références littéraires, musicales et cinématographiques parsèment aussi le livre. Vous découvrirez en plus à la fin du livre un autoportrait de l’auteur, où il nous parle de lui et où on en apprend davantage, beaucoup… mais chuuuuttt, je vous laisse ses mots à découvrir.
Quelques citations
« Il y a ceux qui viennent visiter les décombres et ceux qui tentent de les fuir. Personne n’a l’air de se sentir vraiment chez lui. Walther a juste envie de se sentir chez lui ».
« La petite musique des gouttes est la bande-son parfaite d’un aujourd’hui qui dégringole avant même d’avoir commencé. Je n’ai aucune confiance en mes jérémiades. Je me méfie de moi et de mes recoins nauséeux. Des coups de pied au cul. Des éclats de rire de bébé. De l’eau froide dans la nuque. Du jus d’orange. Ton sourire ridiculise ma peur. Malgré tout, je trempe un orteil dans ma flaque. Par habitude de me dissoudre. Mais pas plus. Je n’y plongerai pas. Elle n’est plus assez grande pour moi. »
Biographie : Thomas Vinau est un écrivain français né en 1978 à Toulouse. Il vit dans le Luberon. biographie complète ici.
J’intègre ce livre au challenge Premier roman chez Anne, au challenge Petit Bac 2013 chez Enna avec yeux, au challenge ABC 2013 chez Babelio, ainsi que mon challenge A tous prix avec le Prix du livre européen en 2012.
Thomas Vinau est l’un des mes préférés parmi les écrivains contemporains. J’ai eu la chance de pouvoir le rencontrer lors d’une soirée-lecture à Vienne. Un vrai bonheur. Tu me donnes envie, pour un prochain de mes dimanches poétiques de mettre en ligne un extrait de « Le trou », qu’il a publié en 2008.
« Ton plus beau costume
ton brouillard préféré
tu les laisseras
au fond du trou »
C’est une vraie découverte pour moi. Une très belle découverte 😀 J’ai été complètement bouleversée par la deuxième partie, qui fait mon coup de coeur. Je vais à l’évidence poursuivre avec lui 😀
Oui tu as raison de le mettre en avant. D’ailleurs cela a été très dur pour moi de choisir des citations. J’en aurais mis énormément… 😀
Bonne journée 🙂
Tu me fais faire une découverte. Je ne suis pas toujours à l’aise avec les contemporains. Mais les sentiments que tu évoques…et surtout ton enthousiasme me le feront chercher ! Merci du partage. Bonne soirée Laure 🙂 Bises
C’est marrant car sur deux avis que j’ai lu les personnes préféraient la première partie alors que mon coup de coeur s’est bâti sur la deuxième 😀 Bouleversant ! bises et bonne soirée Paulette 🙂
Que je suis jalouse, mais jalouse : tu viens de lire un roman qui me tente tant, si tu savais ! Je vais cependant rester aimable car tu es trop sympa : Bisous !
Oh je peux te le prêter si tu veux 🙂 bisous !
Je ne connais ni l’auteur ni le titre alors merci pour la découverte, le sujet ne me tente pas trop pour le moment mais qui sait, peut-être plus tard ?
Oui plus tard si tu le souhaites 😉 Mais il a une écriture magnifique ! Au début j’étais perturbée car il fait beaucoup de phrases courtes. Même sans verbe. Juste un mot ou deux. Mais c’est un style et dans la deuxième partie c’est vraiment très poétique et ce style, justement, va très bien. Bonne soirée Bianca bises 🙂
donc à découvrir de toute urgence
Oui son écriture est riche et il sait nous faire vibrer et les émotions sont à fleur de peau…
bonne soirée Denis 🙂
J’avais adoré ce livre moi aussi mais je préfère la première partie (sa construction disons) et j’ai même gardé une de ses phrases en haut de mon blog ! Je dois sans cesse acheter son deuxième mais je crois que j’attends qu’il sorte en poche !!! 🙂
Oui j’ai été lire ta chronique après avoir écrit la mienne, pour regarder si tu avais aimé et si oui quoi 😀 Je me demandais si tu l’avais lu, c’est pour ça que je suis allée voir après 😉 C’est marrant car une autre personne a aussi préféré la première partie. J’ai trouvé plus de poésie dans la deuxième, même si j’ai été un peu déroutée au départ à la lecture, le temps de comprendre de quoi il s’agissait. J’ai aimé ce manque de construction quelque pat. Comme si c’était des pensées déposées à l’état brut, au fil de ses jours 🙂
Bisous ma douce 🙂
Moi aussi j’aimerais avoir son autre roman Ici ça va (c’est de celui-là dont tu parles ?) mais je vais attendre la sortie poche aussi, car là non ce n’est pas possible 😀 En plus j’ai lu des citations de Liligalipette sur Babelio à l’instant. Je crois qu’elle va bientôt nous mettre la critique, ET je crois qu’il va falloir qu’on me retienne de l’acheter ! 😆
Rhaaa la la ne m’en parle pas ! C’est si facile un petit clic parfois ! 😆 Non non je résisterai ! Je finis une pile de « voyageurs » qui s’attardent (avec l’autorisation de la propriétaire, tout de même^^), j’essaie d’être raisonnable ! Si Lili s’y met, hou ! 🙂
Je suis sur mon roman de plus de 700 pages que j’ai coupé avec Thomas Vinau justement 🙂 Tu avais raison et je le savais bien … j’ai trop pris de LC d’un coup. Maintenant je vais vraiment me limiter et en plus je les avais programmées longtemps à l’avance !!! et je brûle de lire plein de livres que j’ai pris et je ne peux pas !!!! c’est hyper frustrant ! 😆
Raaah les LC, on a beau les programmer à l’avance, on s’y prend toujours à la dernière minute, pile quand on voudrait lire autre chose héhé. Courage à toi Laure !
Merci pour cette jolie chronique en tout cas, je note ce titre !
Bisouxx!
Oui c’est complètement ça ! 😀
J’ai encore la moitié du livre à lire 🙄
Merci et bonne journée Lili 😀 Bises
Il est très émouvant ton billet, le titre du roman est très beau, ça me touche beaucoup l’aspect de ne pas admettre de quitter l’enfance! Une sorte de Peter Pan des temps modernes. Je le note avec hâte .
Merci 🙂 Oui le titre déjà m’avait interpellé et je n’ai pas été déçue par cette superbe découverte ! J’espère vraiment qu’il te plaira 😀
J’ai eu un coup de coeur aussi ! Il est noté. Pour ton challenge A tous prix, puis-je ajouter le logo sur deux billets à propos de livres qui viennent d’être primés : le prix Première pour L’ombre douce, et le Goncourt du premier roman pour Un homme effacé ?
😉
Je suis désolée Anne mais j’ai refusé à Aifelle et Métaphore, donc je ne peux accepter 😦 Les livres doivent être déjà primés quand on les lit.
Je suis certaine que tu auras l’occasion d’en lire sans même les chercher 😉
Bonne soirée 🙂
Alors, ce n’est pas juste ! Il faut que tu retires L’Ombre Douce, roman que j’ai lu, moi aussi, avant qu’il ne soit primé.
C’est d’autant plus injuste que c’est Anne qui avait parlé de ce merveilleux livre avant moi !
Bonne journée, Laure !
Le challenge concerne des livres primés et je ne peux pas faire des règles différentes selon les personnes, c’est cela qui ne serait pas juste 😉
Quand on me donne le lien il faut que le livre soit primé, c’était ton cas.
Si je dois prendre tous les liens rétroactifs des livres primés après chroniques, tu comprends bien que ce serait ingérable. Et ce n’est pas le cadre du challenge 🙂
Bonne journée à toi aussi !
[…] Nos cheveux blanchiront nos yeux, de Thomas Vinau […]
Tu as attisé ma curiosité avec ce billet, je note donc !
Ah chouette ! J’espère qu’il te plaira autant qu’à moi alors 😀
Bises et belle journée 🙂
Ta présentation me donnait envie, et il semblait se passer tant de choses que je suis étonnée que ce roman soit si court. Je le note, et encore plus si c’est un coup de coeur pour toi.
C’est vrai qu’il est court mais comme l’auteur fait successivement des paragraphes courts, il dit énormément de choses au final. Il faut le lire pour se faire son propre avis. Je n’étais pas trop séduite au début par son écriture brève, même si j’ai tout de suite aimé l’histoire. Des petites phrases, juste parfois des mots ou un mot. Mais la deuxième partie m’a bouleversée et j’ai été happée par sa poésie et la profondeur de ce qu’il exprimait. Sa façon d’écrire a eu un sens pour moi. D’autres ont préféré la première partie. J’ai ha^te de savoir ce que tu en as pensé 😉
bisous
Ma plus belle découverte de mes derniers mois lectures… J’ai vraiment été en osmose avec son écriture, sa façon si poétique de parler des petites choses de la vie… Le quotidien en devient transcendant, il est sublimé… J’ai vraiment, vraiment adoré son style !!! J’ai tout à fait ressentie la même chose que toi, une première partie sympa mais c’est vraiment dans la seconde partie que j’ai décollé… J’ai noté un nombres incalculables de passages, pratiquement à chaque page… Tu en parles, vraiment, d’une très belle façon !!
Ouiii ! On est sur la même longueur d’ondes !! 😀 Je suis ravie de pouvoir partager les mêmes impressions avec quelqu’un. J’ai eu beaucoup beaucoup de mal à choisir des citations pour la deuxième partie, j’aurais tout mis !! 😆 Et c’est vraiment ça : transcendant, sublimé. Merci beaucoup 😀
Belle soirée !
Je lirai ce livre, c’est certain, tu m’as plus que convaincue et les passages sont vraiment beau. Il me faudra attendre avant de le lire, mais ce sera fait courant 2013. C’est noté
Je suis ravie de t’avoir convaincu et je te souhaite de l’apprécier autant que moi, vraiment ! 😀 J’attends ton avis avec (im)patience 😆
Quel joli titre ! Tu me donnes très envie de le découvrir ^^Merci à toi 🙂
Bises
Je pense qu’il te plaira 😉 Bonnes lectures ! bises Yuko 😀
Oh là là, encore un livre qui devrait me plaire ! On le dit souvent, mais on n’aura jamais assez d’une vie pour tout lire. Belle soirée ! 🙂
Oui et c’est bien ça qui est quand même assez frustrant 😀 Pourvu qu’elle soit longue 😆
Bises merci et à toi aussi 😀
Je te conseille d’enchaîner avec « ici, ça va » dans la même veine. Cet auteur est mon gros coup de coeur de 2012.
Je te remercie du conseil Aifelle et je l’ai noté déjà. ça me confirme qu’il faut que je le lise très prochainement 😀
Bonne soirée 🙂
Encore un livre très tentant : le passage sur les respirations est magnifique 🙂
Bonne soirée Laure
Oui je l’aime particulièrement ce passage 😉
C’est un superbe écrit que ce livre, je te le conseille 😀
Bonne journée Valentyne
[…] Nos cheveux blanchiront avec nos yeux – Thomas Vinau (Prix du livre européen 2012) […]
[…] Nos cheveux blanchiront avec nos yeux – Thomas Vinau (Prix du livre européen 2012) […]