Manu Causse – L’eau des rêves
ByIl ne parle à personne. Normal : il n’a pas de bouche. Il ne parle à personne, sauf à son grand-père, mort avant sa naissance. A lui, il adresse de longues suppliques, des invectives, des appels silencieux. Parce que l’aïeul en question s’est tranché les veines dans une vignes, quelque cinquante ans plus tôt, sans qu’on sache pourquoi. Ensuite tout le monde s’est tu – gentil petit secret de famille. Sauf que le narrateur, ce Je bouche cousue, n’en peut plus. Il étouffe, au bord de la folie. Jusqu’au jour où une erreur d’aiguillage, ou plutôt une série de rêve – ces rêves où l’on meurt de soif auprès d’une eau qui jamais ne désaltère -, le met en présence d’une étrange étrangère dans les collines où, le jour même, on enterre sa grand-mère. Dans un style tour à tour heurté et limpide, rocailleux et rêveur, une épopée immobile où la langue finit par battre au rythme de la chair.
Je me suis demandée comment j’allais bien pouvoir faire cet article. Le faire comme à l’habitude, quelque part ça ne me donne pas envie car ce livre je ne l’ai pas aimé et je suis très déçue. Le titre me parlait, la quatrième aussi, la couverture aussi… Mais dedans… Je me suis ennuyée. Ce que je retiens surtout de la quatrième de couverture c’est « de longues suppliques, des invectives ». Tout ce roman, autobiographique, n’est que tourments, colère, injures dans un style qui me laisse vraiment perplexe… Des phrases qui ne sont pas terminées, qui en effet démontrent le mal-être de l’auteur, mais c’est très agaçant, surtout car c’est à longueur de temps. Des phrases interminables qui prennent parfois plus d’une page, peut-être même deux (page 46 et 47). Des mots répétés sans cesse, comme un bégaiement. Un écrit comme l’on parle, une pléthore de mots grossiers et crus. Enfin tout ce que j’aime ! J’ironise bien entendu.
Alors j’ai bien compris que cette façon de faire était un reflet de l’esprit tourmenté de cet homme face à un mensonge perpétré depuis la mort de son grand-père. Le suicide du grand-père a été passé pour un accident, sa grand-mère a fait en sorte que tout reste sous silence, avec pour complice toute la famille. Il en a souffert et éructe à tout va toute cette douleur, de façon pour moi trop agressive. J’ai trouvé tout cela bien trop exagéré, non que je dénonce une exagération de ses souffrances, mais pour moi c’est trop, trop cru, trop de colère, trop de pathos, pas assez de pudeur. Et puis toutes les personnes qui l’entourent ou qui sont mortes sont les fautifs de l’échec de sa vie. « Tout ce que je traîne d’interrogations, d’incertitudes, de doutes sur l’amour, je te le dois, René. » Non, je n’y arrive pas. Je suis navrée pour l’auteur d’être totalement passé à côté et pourtant cela aurait pu me plaire, si le style, la manière, le vocabulaire avaient été différents. Je ne suis pas convaincue que la meilleure façon d’accoucher de ses souffrances soit par la voie de l’agressivité verbale et de la vulgarité. C’est vrai que tout ça est souvent mêlé à une certaine violence pour s’en défaire… Chacun sa manière me direz-vous. Certes, mais en tout cas, cette façon-là ne me séduit pas. Pourtant il ne manque pas d’ironie et d’autodérision, ce qui aurait pu me plaire… Ici on comprend bien tout le mal que cette histoire de famille lui a fait, passant de la dépression, à l’alcool, à la drogue. Ce qui, à mon avis, explique ce style d’écriture. C’est très réaliste, c’est certain. Sa tourmente est réelle. C’est d’ailleurs douloureux de lire autant de mal-être. Tout n’est pas « mauvais », il y a des moments que j’ai appréciés, mais qui pèsent si peu dans la balance, malheureusement…
Si vous souhaitez lire la déchéance, la douleur, l’égarement, la rancoeur, l’amertume et la colère d’un homme face à quelqu’un qu’il n’a pas connu et qu’il rend responsable de ses tourments de vie, enrobé de vulgarité, ce livre est pour vous. « (…) comment veux-tu que j’aille aux putes, Maman, ou que je tombe amoureux quand il y a dans mon slip la bite d’un homme mort, d’un homme qui s’est tranché les veines, quand la première femme de ma vie, Maman, m’a menti, m’a menti si longtemps, comment veux-tu que je puisse, que j’aille aux filles, aux putes, que je ne sois pas impuissant ? » J’ai bien saisi le manque éprouvé de son grand-père mais je n’ai pas aimé la forme utilisée. Il y a quand même de l’espoir, mais il arrive un peu tard…
J’ai voulu être honnête en donnant mon avis. Cependant je ne dis pas que je ne relirai pas cet auteur car j’ai quand même vu une belle écriture parmi ce que je n’ai pas aimé. Je ne sais donc pas si ce style est propre à ce roman ou à toute le reste de ses ouvrages. Il est particulier celui-ci, dans le sens où il est comme un accouchement douloureux d’une vie et d’une mort. A voir donc…
Citation :
« J’ai peur de la partie de toi dans mes veines, j’ai peur de ne pas être là, de ne pas être fiable, fiaple, d’être comme toi la terre friable, l’argile sans eau qui se détache et s’écroule, j’ai peur que quelque chose, un jour, me pousse à agir comme tu agi, j’ai peur de ces matins où je ne me reconnais pas dans la glace, où je ne reconnais pas le monde, où mes pensées se précipitent dans la gorge, la liste des choses à faire insurmontables, le goût de leur inutilité, l’image de cette particule de silice que sera notre monde, notre vie, notre univers, tout au bout, voilà, René, j’ai peur de la mort, de la mort de notre monde, je la porte sur ma poitrine, j’ai peur de la mort si familière, la mort qui rôde dans mes veines comme un vieux chien de chasse qui n’en peut plus de raballer, en cet instant où tu te lèves te dresses devant moi assis au coeur du monde sous le cyprès, en cet instant je sais ton nom, René, ton non. »
Biographie : Né en 1972 en banlieue parisienne, Manu Causse a grandi dans le Sud-Ouest et vit aujourd’hui à Toulouse. Longtemps enseignant, il choisit en 2005 de se consacrer à l’écriture et à l’art en général; depuis, il traduit et écrit, pour la radio, la presse, la bande dessinée et le théâtre. Peintre et musicien, il se passionne également pour les formes hybrides où se mêlent son, texte et image.
J’intègre cette lecture au challenge Un mot, des titres chez Calypso, au challenge Petit Bac 2013 chez Enna, au challenge A la découverte des éditions Luce Wilquin chez Minou.
Non merci ! Je me passerai des tourments de ce monsieur…
Je te comprends…
Et j’adore ton nouveau design au fait, je me sens bien chez toi ^^
Hihi, merci 😀
Suis contente de te voir là 😉 bises
je confirme que ton design me plait… serait-ce un nouveau …
cela dit je passerai surement mon chemin pour cette lecture Iain Pears m’attends (sans parler de mes billets). Je n’ai pas encore eu l’occasion de lire un billets concernant cet auteur ; peut-être vais-je vous le faire découvrir !
avec le sourire
Oui j’ai changé de thème la semaine dernière je crois, j’avais des petits soucis avec l’autre et puis j’aime le changement 🙂
Je n’ai jamais lu encore l’auteur dont tu parles alors j’attends avec impatience ton article 😀
Bises Lilou et bonne fin de journée !
C’est vrai qu’il est d’une violence verbale assez « choquante » même moi j’auaris du mal à le lire. 😀 😀 T’as changé le look coco 😛
Et encore tu n’as pas lu le pire… et en plus c’est assez récurrent … Il doit tous les passer je pense et même Jésus en prend pour son grade ! 😆
Tant que c’est dans son grade, Jésus peur que tu te laisses aller !!! ::oops:
😆 je ne dirais rien d’autre 😀
😳
Aie je passe mon tour, ça a l’air déprimant au possible ce livre ! je te souhaite une belle lecture pour faire passer tout ça 🙂
Oui d’ailleurs je suis allée au bout attendant surement quelque chose de génial pour justifier tout ça, mais non… J’ai du mal à choisir ma prochaine lecture je t’avoue, pourtant ce n’est pas ce qui me manque. J’ai des LC de prévues mais j’ai envie d’en lire un autre avant, peut-être un de plus pour le challenge de Philippe 😉
Oh que je te comprends, ma chère Laure ! Franchement la couverture était si attirante. c’est vraiment dommage.
Oui c’est la grande déception, surtout après avoir lu Sur la pointe des mots chez la même maison d’édition… J’espère que les suivants que j’ai rattraperont le coup ! 🙂
Je ne le lirais pas ! ça m’a l’air trop triste, ton avis le confirme. Bonne soirée Laure. Bises.
Oui c’est triste, sombre, le fond du fond, même si la fin est différente mais bon… Puis ce n’est pas que l’histoire, le style est vraiment déconcertant je trouve.
Bonne soirée Bea 🙂
D’après tout ce que tu décris, je ne pense pas que ce serait un titre pour moi. J’ai eu plus de chance pour le challenge de Calypso avec Le cirque des rêves.
Je pense que Le cirque des rêves m’aurait effectivement plus plu. J’irai voir ton article, je n’ai pas encore eu le temps 😉
Bonne journée bises 🙂
Après avoir lu ton ressenti sur ce livre, ce monsieur touchera le fond sans moi ! Merci de ta sincérité . Bonne soirée Laure Bises
C’est un roman très noir, c’est certain. Je ne pense effectivement pas que cela puisse te plaire d’autant plus si tu as du mal avec les contemporains comme tu l’avais signalé 😉
bisous bonne journée !
J’ai beaucoup aimé ce roman et n’en ai pas du tout fait la même lecture que toi.http://facetiesdelucie.canalblog.com/archives/2012/08/19/24923564.html
Comme quoi les avis, les ressentis sont très personnels et c’est bien ça qui fait la richesse de la littérature 😉
Merci pour ton lien Lucie 😀
Coucou,
c’est gentil de bloguer sur mon roman. Désolé qu’il ne vous ait pas plu, mais, hein, ça arrive. Il y a de la douleur et il y a de la colère chez le personnage, et oui, c’est un roman dur. Mais heureux que certaines choses vous aient plu, j’espère que vous trouverez davantage votre compte dans d’autres romans ou nouvelles – peut-être même des miens, allez savoir.
des bises
Manu Causse
Bonjour Monsieur Causse,
Je suis autant désolée que vous qu’il ne m’ait pas plu très franchement, ce qui ne m’empêchera pas effectivement de découvrir un autre de vos romans car là, j’ai un avis sur un seul roman, ce qui ne peut être représentatif. Je n’aime pas vraiment rester sur un échec, c’est dommage. Mais oui, certains passages m’ont plu tout de même, mais trop peu dans l’ensemble.
Mon avis est assez dur et je pense qu’il l’est à la hauteur de la dureté de votre roman au final. C’est surtout le style qui m’a déplu.
A chacun d’en faire son avis 😉
Bonne journée et merci d’être intervenu sur cet article,
Laure
Étrange livre, et on sait à la fin les raisons du suicide du grand père ?
Bonne journée Laure
Eh non… Je suppose que personne ne le sait, comme c’est souvent le cas.
Bises et bonne journée Valentyne 😉
La quatrième de couverture (et la première aussi, d’ailleurs) ne m’inspirait pas, ton avis me conforte dans cette impression. Je crois que ce n’est pas un texte qui me plairait. Je vais aller lire ce que Lucie en a pensé.
J’espère que ta prochaine découverte dans la collection sera meilleure. 🙂
Oui je l’espère aussi mais je n’ai pas trop de doute la dessus en fait 🙂
Merci Minou bisous 🙂
Parler de son histoire familiale lorsqu’elle est tragique, avec pudeur et sans pathos est un exercice difficile. Il faut éviter l’écueil du règlement de compte. Delphine de Vigan dans » Rien ne s’oppose à la nuit » montre que c’est possible, tout dépend de la sensibilité de l’auteur et de son style.
Le titre est très joli je trouve et les citations extraites également mais je n’ai pas plus envie que cela de lire cet ouvrage. Je n’aime pas le bonheur en littérature mais ce qui est trop désespéré me freine aussi…
Oui je le conçois tout à fait. J’ai trouvé le style ici trop « rentre » dedans » et trop « vulgaire », bien que des moments soient agréables à lire, comme la citation que j’ai mise qui m’a plu. C’est dans la globalité que cela ne m’a pas du tout séduite. Au départ ça me plaisait assez, j’attendais de voir, mais la redondance d’un style particulier est devenue trop lourde pour moi, et surtout les grossièretés beaucoup trop nombreuses. Après c’est à chacun de voir.
Il faut vraiment que je la lise Delphine de Vigan 😀 Bientôt bientôt 😉
Un roman qui ne me donne pas du tout envie. E tout cas chapeau car tu as su exprimer ton ressenti clairement et en toute franchise, ce qui n’est pas si évident lorsqu’un titre nous a profondément déplu.
Merci Jérôme. Ce n’est pas évident car on ne souhaite pas froisser l’auteur et ce n’est en rien une attaque mais juste l’expression d’un ressenti, qui est d’ailleurs différent pour chacun.
Bonne journée ! 🙂
Dommage… Il est dans ma wishlist aussi mais je ne sais pas s’il va y rester. Rien que les extraits que tu présentes ne me donnent pas envie d’aller plus loin…
Je ne veux pas décourager les gens à le lire mais il faut savoir que c’est un roman très noir, écrit avec un style vraiment particulier (agaçant pour ma part) et des mots et phrases qui peuvent vraiment choqués, grossiers. Mais ce n’est que mon avis 😉
Les extraits ne me parlent pas, alors je passe… Et je n’ai pas besoin de cette noirceur en ce moment…
Tu ne serais pas séduite je pense 😉
Bisous et bon weed-end 😀
Beurk, je passe sans états d’âme ! Les tourments en dessous de la ceinture, non mais qu’est-ce qu’on en a à faire, hein je vous le demande monsieur l’auteur ??? 😆 Bises Laure !!! 🙂
Avec certitude tu peux passer 😉 Tu n’aimerais pas. Bisous ma douce 😀
Il me semble qu’on parle de plus en plus des éditions Wilquin.
Mais il ne s’agit pas d’une bonne pêche, apparemment.
Bonne semaine.
Oui le challenge de Minou n’y est pas étranger je pense.
Non pas une bonne pêche sur ce coup là et j’étais vraiment déçue car je ne m’attendais pas à ça je dois dire. Mais bon c’est ainsi on n’a pas toujours des coups de coeur et il en faut pour tous les goûts 😉
Bonne semaine également Philippe 🙂
Bonjour,
Je ne connais pas ce titre, mais j’avais été agréablement surpris par l’un des recueils de nouvelles de Manu Causse paru il y a un ou deux ans
Il faudrait que je vois alors pour ce recueil, car là le roman m’a vraiment déplu…
Bonne journée Yv 🙂