Jean Allouch – Schreber Théologien « L’ingérence divine II »

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Les Mémoires de Daniel Paul Schreber ont donné lieu à tant de commentaires psychiatriques et psychanalytiques que cette pléthore a fini par confondre les esprits. Quand on parle à Dieu, a-t-on écrit, cela s’appelle une prière, mais quand Dieu vous parle, cela s’appelle schizophrénie. 

On n’a toujours pas lu ce texte de la façon dont son auteur souhaitait qu’il soit accueilli : comme l’avènement d’une vérité théologique dont l’importance n’est pas moindre que celle qu’à provoquée la venue du Christ en ce bas monde. Cette oeuvre accomplie, Schreber sort de dix-huit années d’emprise psychiatrique apaisé, et reconnu libre de mener sa vie comme il l’entend.

 Au prix de ce qu’il appelle son martyre, sa théologie dégage l’érotique du carcan où elle dépérissait pour, tout au contraire, faire de l’échauffement sexuel ce qui tient Dieu hors de portée de sa mort annoncée. {quatrième de couverture}

Ceci peut être une lecture étonnante pour une personne qui n’a pas de croyance religieuse, mais je suis curieuse et aime justement lire et m’intéresser à ce qui est opposé à mes « croyances ». Comment défendre ses points de vue et ses convictions sans même comprendre et connaître ce auquel on ne croit pas ? Voilà mon intérêt dans cette lecture. Cet ouvrage est le deuxième volet qui compose la trilogie que Jean Allouch a écrite au sujet de la théologie Schreberienne. Le premier étant Prisonnier du grand Autre et le troisième non encore sorti Une femme sans au-delà.

Quatre chapitres pour  cet essai : Question de registre, Doctrine de l’autolyse de Dieu, Enseignements et Brèves remarques sur quelques lectures des Mémoires. Dans sa doctrine, autobiographie écrite à sa sortie des hôpitaux psychiatriques intitulée Mémoires d’un névropathe, Schreber se place en tant que principal acteur de la « survie » de l’existence de Dieu dont la mort était annoncée. En effet il est en rapport direct avec Dieu, Il dépend de lui tout comme Dieu dépend de lui aussi. Dieu a donc échappé à sa seconde mort, grâce à l’érotique de Schreber qui s’est transformé en femme afin d’attirer les « rayons divins ». Trois fondements essentiels qui constitue l’ordre de l’univers selon Schreber : La Béatitude, la volupté et la jouissance.

En tout premier lieu dans Question de registre, Jean Allouch nous explique que la théologie de Schreber n’a pas été analysée à l’époque d’un point de vue théologique et philosophique mais en terme psychanalytique, ce qu’il dénonce. Il va donc lui s’en tenir à une analyse qui correspond à ce qu’elle aurait du, contrairement à Freud, Lacan et bien d’autres qu’il cite dans cet ouvrage et qui ont publié des ouvrages sur leur interprétation concernant la théologie de Schreber. Il nous fait d’ailleurs, au cours de son essai, des comparaisons avec les études de ces psychanalystes et psychiatres afin de relever les erreurs commises. Ceci dans le premier chapitre mais aussi le dernier. Tous n’ont vu que la paranoïa à cause de ses hospitalisations. « Le fait d’être enregistré en médecine plutôt qu’en religion prolonge les malentendus par des actes clairement arbitraires. » Jean Allouch, qui est un psychanalyste  et qui connait donc toutes les études faites sur Schreber, va faire en sorte de tout oublier afin de faire de son essai une véritable analyse théologique: « Je serai ce cheval qu’on affuble d’oeillères, condition pour qu’il puisse avancer d’un bon pas. »

Dans le chapitre Doctrine de l’autolyse de Dieu, Jean Allouch nous expose donc la théologie de Schreber. Tout d’abord il oppose Kant à Schreber, précisant, entre autres, que le Dieu de Schreber n’a pas de lien paternel, il n’y a donc pas de Dieu-le-père, dieu est comme un soleil qui déploie ses rayons, rayons constitués de nerfs. Il démontrerait tout au plus l’existence d’un architecte du monde, non pas d’un créateur. » Selon Schreber, l’harmonie entre Dieu et l’ordre du monde n’est plus, Dieu est affaibli, son existence s’est fragilisée et est devenue problématique: d’où la mort annoncée de Dieu. Mais Schreber fait partie de sa doctrine et sera le « martyre » qui permettra de préserver l’existence de Dieu et ne pas le plonger dans sa seconde mort. Et maintenant que Dieu est en lui, la vie de Dieu dépend de Schreber et la vie de Schreber dépend de Dieu.

Selon Schreber Dieu est composé de nerfs, sans corps. La seconde mort chez les humains est la purification pendant la putréfaction pour ne garder que l’âme composée elle aussi de nerfs. L’homme dans sa mort retourne donc à Dieu. On atteint la « béatitude ». Dieu ne peut échanger avec les âmes humaines qu’à la mort de chacun. Les âmes se fondent alors à d’autres, qui ensemble sont Dieu. La création est Dieu. Cependant Dieu s’est mis en retrait de sa création. C’est un cycle éternel que la circulation des nerfs. Dieu est Schreber, selon sa théologie, sont reliés entre eux par des nerfs (les rayons divins) « porteurs d’un ou plusieurs des 3 flux qui ont nom : béatitude, volupté, jouissance ». Schreber joue son rôle dans la survie de Dieu dans le flux de la volupté par l’érotisme, se transformant en femme pour attirer les rayons de Dieu et ainsi lui transmettre la jouissance, la sexualité. Dieu continue donc à exister. « L’étreinte sexuelle maintient Dieu en vie ».

Ceci n’est qu’un cours aperçu. Ensuite Jean Allouch en tire les Enseignements et revient donc sur quelques lectures qui ont été faites, ici celle de Freud et celle de Lacan.

Un ouvrage riche d’enseignements, une analyse qui se veut théologique sans empreinte de psychanalyse. Je ne suis en rien spécialiste et encore moins une adepte de quelconque théologie, comme je l’indiquais, et pourtant je n’ai pas eu trop de mal à suivre cet essai. Il regorge de références et donne envie de se renseigner sur les différents psychanalystes, psychiatres et cetera, cités. Je me suis d’ailleurs procurée l’ouvrage de Fernando Pessoa écrit avec son hétéronyme Bernardo Soares dont Jean Allouch tire une citation, que j’avais mise sur mon blog, de son oeuvre posthume (qui n’a pas de rapport avec la théologie) Le livre de l’intranquillité écrit sur plusieurs années : « Le Livre de l’intranquillité est le récit du désenchantement du monde, la chronique suprême de la dérision et de la sagesse mais aussi de l’affirmation que la vie n’est rien si l’art ne vient lui donner un sens. L’art, ici même, est poussé à son paroxysme. » (François Busnel, Le Magazine littéraire, mars 2000).

Biographie : Jean Allouch est un psychanalyste français né à Montpellier en 1939. Formé à la psychologie et à la philosophie, il suit dès 1962 les séminaires de Jacques Lacan (qui fut aussi son analyste). Après la dissolution de l’École freudienne de Paris dont il faisait partie, il contribue aux premiers pas de la revue Littoral et participe à la fondation, en 1985, de l’École lacanienne de psychanalyse. Jean Allouch anime actuellement la collection « Les grands classiques de l’érotologie moderne » aux éditions Epel. Son séminaire, qui se tient à l’hôpital Sainte-Anne à Paris, trouve régulièrement à se prolonger à l’étranger, en particulier en Amérique latine.

Je remercie Libfly pour l’envoi de cet ouvrage qui m’a vraiment intéressé, ainsi que les éditions Epel, il est riche de par sa qualité d’analyse.

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