Hella S. Haasse – La source cachée ♥

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la source cachée

Au coeur des bois, cernée d’un rempart de végétation luxuriante, se tapit la maison des Breskel. A la faveur d’une période de convalescence, Jurjen arrive dans cette propriété familiale pour vider la bâtisse avant de la vendre. Ensorcelé par l’atmosphère exceptionnelle des lieux, il se prend à creuser dans le passé de cette famille qu’il connaît si peu. Un passé d’où émerge Eline, disparue naguère dans des circonstances mystérieuses, un caractère passionné et romantique avec lequel cet esprit dogmatique sent peu à peu s’établir une étrange communion.

Hella S. Haasse ouvre ici les portes de son univers très féminin à un homme qui se cherche, s’invente et finalement se découvre, dans une maison hantée d’impressions et de souvenirs. {quatrième  de couverture}

Je dois tout d’abord dire que si j’ai lu ce livre, c’est grâce à Lili, qui a pensé à moi en le lisant et s’est dit qu’il était fait pour moi. Alors Lili… MERCI ! Tu as tout à fait vu juste et je dois dire que je suis bouleversée par ce roman. Mon envie première en finissant le livre a été de le relire. Cela ne m’arrive jamais ! Généralement je prends un temps pour y repenser et savourer ce que j’ai aimé d’un livre, puis je passe au suivant. Mais là c’est différent, j’ai envie de m’y replonger, de m’y retrouver, de me délecter de toute cette prose merveilleuse. Hella S. Haasse a un talent immense, une écriture d’une richesse incroyable.

Tout ici me parle, cette nature magnifique, au centre du roman, elle est vivante et d’une beauté majestueuse, mystérieuse et d’une force absolue. Elle est à l’image de ce qu’on recherche, la perfection, la sérénité et évoque l’équilibre intérieur. Et me parle aussi cette introspection d’un homme perdu, qui ne sait plus si il est à sa place auprès de sa femme, se sentant à l’opposé de sa nature propre. Une période de réflexion pendant son arrêt maladie, pour se retrouver, s’interroger, avoir des réponses. Et un homme qui découvre une maison familiale, où n’a jamais vécu sa femme Rina. Une présence dans ce lieu où il se sent en osmose. Une femme, Eline, la mère de son épouse, qui va comme le posséder. Son envie profonde est alors de découvrir ce que cette femme est devenue, qui elle est, pourquoi et comment a-t-elle disparu. Eline apparaît comme son double. Cette sensibilité à fleur de peau, cette impuissance à retranscrire, tant par le dessin pour elle que l’écriture pour lui, la beauté et la puissance de cette nature, cette recherche perpétuelle de la définition de ce qui le fait vibrer, du sens des choses. Cette nécessité de se sentir libre. Tout le contraire de sa femme. Il se sent de plus en plus éloigner de Rina et ne comprend pas pourquoi ils sont ensembles.

Il fait la rencontre de Meinderts, un médecin, qui lui apprendra une partie de la vie d’Eline car cet homme était éperdument amoureux d’elle, et l’est toujours d’ailleurs, la connaissait depuis l’enfance. Un amour platonique. Mais Meinderts est empli de doutes et cherche des réponses quant à la disparition d’Eline, cette femme dont on ne sait rien sur sa disparition, seuls ses habits et son alliance ont été retrouvés sur la plage. Il plane sur cette famille tout un mystère et des non-dits. Jurjen interroge sa femme dans deux lettres qu’il lui écrit de l’hôtel  pendant son séjour. Elle n’a pas connu sa mère. Elle ne sait rien. Alors il va flâner dans cette maison et dans son jardin, inspecter les lieux et les papiers au grenier. Cette nature et cette maison lui parlent et il sent encore la présence d’Eline, se sent si proche d’elle, de son être et de sa recherche d’absolu.

Jurjen trouvera des réponses mais peut-être pas celles auxquelles il s’attendait et peut-être pas sur les personnes qu’il imaginait…

Un roman d’une puissance descriptive fabuleuse avec une nature qui a pris possession toute entière de la vie, du monde, elle est maîtresse. J’ai ressenti un immense bien-être dans toutes ces balades verdoyantes et mystérieuses. C’est comme je peux le ressentir quand je suis en pleine nature. J’ai été frappée aussi de voir aussi clairement cette maison et son environnement, ce qui m’a immergé dans une unité merveilleuse. De plus c’est une histoire si réelle, si proche de toutes les questions que nous pouvons être amenés à nous poser et sur les tourments existentiels de certaines personnes. Une histoire de famille et de l’impact d’une éducation sur chacun. Un amour torturé, celui de Meinderts. Un amour sur le point de flancher, celui de Jurjen et Rina. Et en plus de tout cela, l’auteure parvient à nous tenir en haleine sur la totalité du roman quant à l’histoire d’Eline et de cette famille, nous voulons nous aussi savoir ! Les réponses seront inattendues. J’ai énormément aimé ce qu’en a tiré cet homme seul et solitaire dans sa vie avec sa femme. Un séjour dans cette demeure qui lui aura ouvert certains horizons, qui lui aura ôté un de ses voiles sombres. Mais sa nature propre ? Pourra-t-il encore vivre avec cette flamme en lui et se sentir épanoui totalement ? Quel tournant prendra la relation de Jurjen et Rina ? Quelles sont les certitudes et y’en-a-t’il réellement ? Le roman est aussi construit de telle façon que nous avons l’impression d’entrer dans l’intimité profonde du personnage principal qu’est Jurjen : cela commence par l’extrait d’une lettre écrite à sa femme, puis se poursuit par un extrait de son journal.

Roman d’un lyrisme évocateur, d’une écriture ciselée splendide et d’un envoûtement mystérieux et puissant. Je vous conseille fortement ce roman qui est un grand coup de coeur pour moi !

coup de coeur

Citations :

« Le silence était total. Les étoiles tremblaient dans le bleu profond de la nuit, comme des gouttes d’eau sur le point de tomber. »

« La conscience que j’ai moi, l’homme, grâce à mon système nerveux plus sensible et mon organisme infiniment plus compliqué, d’être la créature la plus fébrile et la moins harmonieuse sous les étoiles, ne fait qu’accroître mon désir de m’abîmer à jamais dans la perfection de la nature alentour. A breskel, le danger se cache dans le suave poison que l’on respire entre les roses et l’herbe : un désir de disparaître en tant qu’individu, de devenir un élément de la beauté immortelle, d’entrer dans l’éternité comme les nuages et la lumière solaire, de vivre, aussi calmement que les plantes, l’alternance et le retour de la matière. »

« Je me souviens mot pour mot de sa confession. Qu’a-t-il connu de sa personne ? Qu’a-t-il cherché en elle d’autre que la forme, l’enveloppe extérieure – pas une fois je ne l’ai surpris à prononcer une parole trahissant un désir plus profond. L’Eline qu’il a évoquée, la femme qu’il voulut un jour posséder est une ombre, infiniment plus irréelle que l’ombre qui me tient compagnie depuis que je suis venu à Breskel. Meinderts ne sait rien de l’âme de cet être qu’il a rencontrée presque journellement pendant vingt ans. Comment elle était, ce qui évoluait en elle, quel combat elle livrait – il n’a rien compris de tout cela. A moi, l’étranger, s’est révélée sans que je l’aie demandé, une chose dont Meinderts ne soupçonne même pas l’existence. »

« Ce sont les parents qui ont marqué la maison de leur empreinte. Si l’esprit d’Eline hante les lieux, c’est à la dérobée et fugitivement, comme un enfant qui s’aventure dans un sanctuaire interdit. Mais la forêt est son domaine ; ici, où elle a mené un vie libre, loin des regards indiscrets, elle continue à exister. »

« Je voyais que la vie sur terre pour l’homme était souvent folle, maudite, mais elle me semblait soudain sublime par son caractère énigmatique. J’ai alors, pour la première fois, essayé de recourir à l’écriture pour formuler plus clairement mes réflexions. Chaque fois, je cédais à ce désir qui brûlait en moi, car j’avais l’impression en écrivant de me délivrer de mon doute. Dans les instants où, l’esprit tendu, je cherchais les mots et les images, je me sentais libre, soulagé. Je croyais que par la grâce de ce travail créateur, mon existence d’humain prenait un sens plus profond. Après un tel effort, je me trouvais dans un état d’euphorie. J’avais beau savoir qu’en fait rien n’avait changé, le monde m’apparaissait sous un jour nouveau, clarifié, purifié. »

Biographie : Hélène Serafia Haasse, dite Hella S. Haasse (née le 2 février 1918 à Batavia (auj. Jakarta), Indonésie, et morte le 29 septembre 2011 à Amsterdam), est une écrivaine néerlandaise. Auteure de théâtre, d’essais, de textes de cabaret et de textes autobiographiques, elle a gagné sa grande renommée surtout par ses romans. La suite là.

La superbe chronique de Lili en cliquant ici. Et merci mille fois 😀

J’inscris cette lecture au challenge Voisins Voisines de Anne et au challenge A tous prix pour le prix des Lettres Néerlandaises qui récompense l’ensemble de l’oeuvre.

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