Gaston-Paul Effa – Je la voulais lointaine

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je la voulais lointaine

“Aller au pays de Montaigne, de Chateaubriand et de Rimbaud m’intéressait moins que la perspective de fuir cette terre mienne, et ces liens inextricables. Ainsi, traverser les océans et, par ce geste, la mémoire honteuse de tout un continent, tout ensemble anticipait et amplifiait ma volonté de n’avoir plus jamais d’obligations vis-à-vis de personne – ma famille comprise. Je m’étais même demandé si ce n’était pas mon double spirituel qui avait prié la nature de m’éloigner, de me porter vers ce pays où il n’y a pas d’arbres, où les hommes sont sans ombre, où le bitume recouvre partout la terre, où les morts ont froid, mais où tous les Africains rêvent d’aller un jour. »

Petit-fils de féticheur, Africain de culture animiste, le narrateur de ce livre – l’enfant au nom d’oiseau – a refusé le sac totémique de son aïeul. Transmis comme un oracle, l’objet fut immédiatement enterré et le silence gardé. Sacrilège ou terreur, cet acte s’inscrit en transparence sur le destin de ce jeune homme choisi pour tutoyer les dieux.
Ainsi se déploie le récit poétique d’un rêveur d’ailleurs, d’un être qui un jour retrouve, en lui, la mémoire. {quatrième de couverture}

Obama, aigle à deux têtes chez les animistes,  fait partie de la communauté des Fang. Le nom de chacun est déterminé avant même la naissance et prédestine d’un avenir choisi par les anciens. L’aigle est « la mémoire des morts, car il a la faculté de voir ce que les autres ne voient pas ». Lors de sa naissance Obama n’a pas pleuré, mauvais présage qui fit intervenir un féticheur afin de faire fuir le mal et donner ses bénédictions. « Le nom d’Obama devait renverser le destin ». Lorsque Obama était enfant, à la veille de la mort de son grand-père Elé, féticheur, il fut amené par celui-ci dans la nuit à travers la forêt. Elé lui transmit alors le sac totémique, sac protecteur de la tribu. C’est à ce moment-là qu’Obama sut qu’il partirait. Il eut soudain peur de cet héritage et alla enterré honteusement le sac sous un olivier, ne parlant à personne de ce qui était arrivé. Cette lourde charge qui lui incombait, celle de « veiller sur le sommeil des vivants et des morts » était trop importante pour lui. Il ne voulait pas de cette obligation.

Il alla poursuivre ses études dans un collège à Strasbourg, bien que la sorcière du village, Lala, eut essayé de l’en dissuader, ici il était quelqu’un et là-bas il ne serait rien. Après plusieurs obstacles, il arriva à Strasbourg. Là il fut choqué par le mauvais parler des Alsaciens.« Je ne doutais pas que le langage châtié que j’avais appris dans mon Afrique natale à coups de bâton était le vrai, et la certitude s’ancra en moi que le langage de mes professeurs, de mes camarades mêmes appartenait à un univers qui n’était pas le mien, dans lequel je ne me reconnaissais pas. J’en conclus très tôt que les Alsaciens ne savaient pas parler français et que la France était devenue le pays le moins francophone du monde. » Il continua à parler de la façon qu’il avait apprise, malgré les moqueries de tous. Il n’arrivait pas à être intégré et se sentait étranger. Il se prit d’affection pour un professeur qui comme lui était rejeté et solitaire, pour d’autres raisons que les siennes. Mais cet homme mourut, tout comme son grand-père mourut. Alors il se trouvait encore plus seul et abandonné.

C’est alors qu’il connut ses premiers émois amoureux et rencontra Julia, qui lui demanda de s’installer avec elle après bien des incertitudes. On lui conseillera d’écrire, ce qu’il fera. Il parviendra à sa grande surprise à se faire éditer et obtenir un à-valoir, mais qui ne serait pas suffisant pour vivre. Il se sentait pourtant enfin reconnu dans sa valeur « Je respirais la sensation d’avoir gagné quelque chose d’essentiel. (…) Il me semblait que j’avais laissé derrière moi, comme un rivage où je ne viendrais plus, cette Afrique qui me faisait honte. » Il passa alors le concours d’enseignement et devint Professeur de philosophie. Les trois premières années furent un vrai bonheur pour lui, il se sentait en parfaite osmose dans ce métier. La transmission d’un savoir, d’une passion. A cet époque tout allait bien « la vie me paraissait désormais limpide, facile, accordée. » Puis son avenir s’assombrit à cause d’un lapsus sur une copie « Une tache qui devait ternir ma carrière ». Julia le quitta, sans aucun rapport avec ce qui se passait dans sa carrière. Des cauchemars venaient perturber ses nuits où il y voyait son grand-père. Tirailler jusque dans ses rêves d’avoir quitté, abandonné sa terre, d’avoir été attiré par l’Europe. Dès lors, il comprit ce qu’il avait à faire…

Gaston-Paul Effa nous raconte ici la dure réalité de l’enracinement, de l’exil et de la recherche d’identité. Cet homme africain, cet homme noir est pris entre deux eaux, le devoir qui lui incombe de suivre la tradition, une culture, et l’envie de liberté, de découverte, le « rêve africain » qui est le rêve de l’Europe. Mais aussi une place parmi les siens où il est quelqu’un d’important mais qu’il veut fuir et une place dans un monde qui est difficile à se faire mais qu’il désire par dessus tout. On ne peut pas fuir ses racines, sa terre, elle nous rattrape forcément un jour. Il ne s’est jamais senti totalement heureux à cause de ce lourd poids de l’héritage, il le poursuivait. Il était sans cesse accompagné par son double, celui acquis avec la transmission du sac qui l’empêchait d’être « libre et insouciant » : « Toujours que je sois éveillé ou endormi, il y avait désormais dans le monde un être qui vivait avec moi, pour moi, qui devenait mon double. Oui, chez nous c’était ainsi : le féticheur qui meurt après avoir donné son savoir est le double de celui qui accepte son héritage » En acceptant de prendre le sac, il avait accepté l’héritage. Une recherche d’identité. Une acceptation. Une quête finalement.

Dans son écriture littéraire et poétique, Gaston-Paul Effa nous expose ici avec pudeur toute une palette de vie, les sentiments profonds d’un homme en devenir, des émotions. J’ai vraiment aimé ce roman (autobiographique ? surement une part importante je pense) qui nous parle des tourments de cet enfant apeuré par quelque chose qui le dépasse, cet enfant honteux de fuir son devoir, cet homme qui tente d’inscrire sa vie loin de ses racines, cet homme qui plonge dans son passé et sa mémoire, cet homme qui affronte, cet homme courageux, cet homme qui puise au fond de lui toute l’essence de sa vie. Cet homme qui trouve des réponses. Et ce que j’ai le plus aimé dans ce roman c’est toutes les immersions dans son pays, je sentais les odeurs, je voyais ces paysages, je ressentais la chaleur de ses souvenirs, l’attachement profond à cette terre. Une grande poésie dans les descriptions enrobe avec beauté cet ensemble.

Je vous le recommande chaudement !

Quelques citations :

« Je me souviens de ce jour où je lus à mes élèves de terminale littéraire les dix premières pages de Verre cassé du Congolais Mabanckou, porté par cette même chaleur que j’avais eue à découvrir son auteur. Les élèves souriaient, heureux de voir qu’un cours de philosophie était le prolongement de la vie, et moi, je tentais de confier aux mots l’émerveillement qu’ils me causaient, ce sentiment d’ingéniosité presque sauvage. »

« Je me demandais si j’avais encore des racines ou si elles étaient bien miennes. Mon crime, c’était d’avoir renié mes origines ou d’avoir cru – c’est la même chose – les avoir reniées. D’avoir cédé à la vieille fascination pour l’Europe, comme ces exilés qui se souviennent et que la réalité de leur terre ne cessera de hanter. »

« Je m’élevais enfin, mais sans perdre mon poids, en le retrouvant plutôt, ce n’était pas la pesanteur, mais la plénitude. »

« Toute la misère humaine, quand on la t ouche, est comme une bête qui inspire une répulsion qu’il faut que le coeur endure et surmonte, s’il le peut ».

« D’un seul coup les parfums du tronc, du terreau, de l’humidité s’effacèrent. Des effluves d’oranger s’amplifièrent. L’oiseau s’était immobilisé. La lumière s’épanouissait, patine d’or clair, ultime générosité d’un soleil renaissant, tout à la fois allègre et cependant mal assuré de soutenir le défi des nuages qui, toute la matinée, s’efforçaient d’éteindre le ciel ».

Biographie : Gaston-Paul Effa est un écrivain lorrain d’origine camerounaise, également professeur de philosophie. Né à Yaoundé (Cameroun), il vient en France suivre ses études secondaires au Collège épiscopal Saint Étienne de Strasbourg, puis étudie la théologie et la philosophie à l’université. Il est professeur de philosophie au Lycée Mangin à Sarrebourg et Boutet de Monvel à Lunéville. suite de la biographie.

J’inscris cette lecture dans le challenge Littérature francophone d’ailleurs chez Denis, le challenge ABC Babelio 2012/2013.

LittFrancophone critiquesABC2013