Elisa Frutier – Sur les traces des sans visage

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sur les traces des sans visage

Ce livre est le récit sous forme de journal de voyage d’Elisa Frutier, auteure et narratrice. Elle est née au Brésil, abandonnée avec son frère sur le pont d’Aracaju, elle ira ensuite avec lui pour un petit temps dans un orphelinat pour être alors adoptée et partir en France. Loin de son pays natal pendant si longtemps, elle ressent le besoin d’y retourner et de s’investir dans un projet personnel qui lui tient à coeur, comme pour panser ses plaies du manque, du déracinement, de la difficulté à s’adapter. « Pour elle, c’est comme si la vie s’était arrêtée dans cet animal de fer qui lui a fait quitter sa terre. Telle une pièce rapportée, elle n’a jamais su réellement s’adapter. Toujours à courir, à fuir afin d’oublier ses différences que l’on ne cesse de lui rappeler, pour occulter ces questions qui ne cessent de la harceler : Qui suis-je ? D’où viens-je ? A qui vais-je ressembler ? Pourquoi dois-je toujours expliquer que j’ai été adoptée ? » Son but est de faire parvenir vêtements et matériel pédagogique ainsi que d’aller travailler pour 4 mois en tant qu’animatrice dans 3 orphelinats grâce à une association. Elle part donc au Brésil à 23 ans. Une fois là-bas, l’envoi de ce qu’elle voulait va se réaliser mais la seconde partie du projet va s’avérer être plus compliquée que prévu. En effet Il ne se concrétise pas tout d’abord, ses différents rendez-vous avec un juge sont sans cesse annulés. Elle va de déceptions en déceptions jusqu’au jour où, au second mois de son séjour, elle rencontre la bonne personne et commence à travailler dans un orphelinat d’Aracaju dirigé par le padre P.

Sa mission se verra être bien plus dure qu’elle avait imaginée et elle revêtira différentes casquettes comme blanchisseuse, professeur d’école, aide psychologique, femme de ménage, cuisinière… loin du rôle d’animatrice imaginée en premier lieu. Un travail dur, fatigant, éprouvant, face à des jeunes de tous âges, venant pour la plupart de la rue et se comportant comme tel. Pas d’éducation, pas de politesse, ils ne parlent pas mais hurlent, se battent, peuvent aussi frapper les tia, tantes c’est comme cela que les femmes qui s’occupent des enfants sont appelées à l’orphelinat. Beaucoup est à faire et le sommeil est de très courte durée. Bien souvent elle se demandera si elle a fait le bon choix, si ce qu’elle fait servira à leur avenir ou si au contraire elle les handicape avec des choses qui ne sont finalement pas pour eux.

Dans ce journal Elisa Frutier nous parle du Brésil, de sa géographie, de sa politique, de sa démographie, de l’économie, de sa culture, des origines du carnaval, des problèmes de société etc. Donc en plus d’être un récit de voyage c’est enrichissant culturellement. Une écriture simple, Elisa Frutier parle, nous raconte, avec son humanité, sa force et ses faiblesses, ses peines et ses doutes, ses joies. Son voyage de quatre mois prend fin et elle rentre à Paris, elle y retournera c’est sûr…

J’ai beaucoup aimé ce livre qui nous parle de la réalité d’une enfant abandonnée, adoptée et déracinée qui va rechercher l’essence de ses origines par le don d’elle. Aucun pathos dans ce récit, juste la vérité, sans larmes, avec pudeur mais sans détour non plus. Une écriture simple, directe, sans fioritures. Et j’ai vraiment apprécié tout ce qu’elle nous fait découvir de ce pays. Le premier chapitre, Confession intime, où Elsa Frutier parle d’elle et de son frère mais à la troisième personne est particulièrement magnifique !

Je remercie Libfly pour l’envoi de ce livre ainsi que les Editions L’Harmattan Collection Trans-Diversités.

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Citations :

« Les gestes qui, autrefois, les ont sauvés, aujourd’hui sont répétés. Les genoux craquent, les bras s’allongent pour soulever, enlacer une dernière fois ces petits corps musclés. Mais, cette fois, le corps du vieil homme bouge avec moins de facilité, comme s’il se souvenait des années envolées. Un dernier regard échangé. La pluie s’est mise à tomber, le vent s’est levé comme si la nature ne pouvait supporter les cris des deux enfants et les larmes d’un vieil homme fatigué. De nouveau la solitude a enlacé cette fratrie délaissée. Il n’y a plus de château pour se réfugier, ni de vieil homme pour être rassuré. Et les enfants s’endorment en gardant au fond d’eux la chaleur d’être deux. »

« La beauté du pays est en décalage avec les tas d’ordures qui s’amoncellent en décomposition dans les ruelles. Soit les gens travaillent, soit ils passent leur temps à manger, soit on les trouve devant la télé. Par contre, on ne peut pas leur enlever le fait que toutes leurs soirées sont festives. Je ne peux pas dire que je sois déçue ou surprise, mais à dire vrai, je m’attendais à autre choses, sans doute à plus d’authenticité et à moins d’européanisation. »

« Durant ces trois mois, je n’ai cessé de voir les enfants évoluer : de bêtes sauvages, ils sont passés à de jeunes chiots apprenant à marcher. Ils vont me manquer même s’ils m’en ont fait baver. Je suis tiraillée entre sentiment de culpabilité, d’abandon et de soulagement. Il y ces questions qui ne cessent de me tarauder : Est-ce que j’ai bien fait de venir ? Comment certaines situations sont-elles arrivées ? Et ce sentiment d’échec qui ne cesse de me ronger… »

Biographie : Elisa Frutier est née à Aracaju, dans le Nordeste du Brésil, le 25 février 1987. Adoptée avec son frère en 1988, elle repart pour la première fois dans sa ville natale en décembre 2010.

J’inscris cette lecture au challenge Petit bac 2013 d’Enna, au challenge Lire sous la contrainte de Philippe pour la négation, au challenge Littérature francophone d’ailleurs de Denis.

petitbac2013 lire sous la contrainte LittFrancophone