Romain Gary (Emile Ajar) – La vie devant soi

By

la vie devant soi

Quatrième de couverture :

Signé Ajar, ce roman reçut le prix Goncourt en 1975. Histoire d’amour d’un petit garçon arabe pour une très vieille femme juive : Momo se débat contre les six étages que Madame Rosa ne veut plus monter et contre la vie parce que « ça pardonne pas » et parce qu’il n’est « pas nécessaire des raisons pour avoir peur ». Le petit garçon l’aidera à se cacher dans son « trou juif », elle n’ira pas mourir à l’hôpital et pourra ainsi bénéficier du droit sacré « des peuples à disposer d’eux-mêmes » qui n’est pas respecté par l’Ordre des médecins. Il lui tiendra compagnie jusqu’à ce qu’elle meurt et même au-delà de la mort.

Mon avis :

J’ai adoré ce livre, c’est un coup de coeur. Rien qu’en écrivant la quatrième de couverture mes larmes me sont revenues, tant la beauté de ce livre est grande, tant l’émotion est grande, tant l’amour est profond, pure de toute l’innocence de l’enfance, vrai. Pourtant le ton donné tout au long du livre semble léger, amusant, parce que le narrateur n’est autre que Mohamed dit Momo, ce petit garçon arabe de 10 ans (apparemment) et qu’il nous parle – avec légèreté, simplicité, honnêteté et avec les mots d’un garçon de son âge et de son éducation – nous parle donc de sa vie et de cette femme, Madame Rosa. « Elle avait les yeux pleins de larmes et je suis aller chercher du papier cul pour les torcher ». Mais bien qu’il soit un jeune enfant il est plein de lucidité, ce qui est frappant. On se prend des vérités en pleine face, des vérités qui font du bien.

Momo n’a jamais vu sa mère, ni son père. Il est un « enfant de pute » et son père supposé était « proxynète ». Il est élevé par Madame Rosa depuis ses 3 ans, une ancienne prostituée reconvertie, qui s’occupe désormais de recueillir les enfants des prostituées – « les femmes qui se défendent » comme dit Momo en échange de mandats, qu’elle reçoit ou pas d’ailleurs. Tout de suite on se rend compte que Momo n’est pas un enfant comme les autres, par exemple comme lorsqu’il a volé un chien et que finalement il le revend, ne gardant pas l’argent, juste pour que ce chien puisse être dans une famille où il est certain qu’on s’occuperait bien de lui, se rendant compte que lui ne pourrait pas assumer cette tâche.

Tout ce qui est raconté dans ce livre n’est jamais un apitoiement quant à une vie qui pourtant n’est pas rose. C’est l’entraide des gens de ce « milieu » qui est ici mis en valeur comme Madame Rosa qui écrit les lettres d’un proxénète pour sa famille en Afrique car il ne sait pas écrire, les gens qui viennent aider Madame Rosa à monter ses 6 étages lorsqu’elle n’a plus la force et la santé de le faire, l’aide maternelle et financière de Madame Lola la « travestite » etc En parlant de Madame Lola « J’ai jamais vu un sénégalais qui aurait fait une meilleure mère de famille que Mme Lola, c’est vraiment dommage que la nature s’y est opposée ».

Momo raconte avec une grande désinvolture son histoire, sans peine ni tristesse, bien qu’il vive dans un milieu de pauvreté et de délinquance. Sa vie pour lui est une vie normale, c’est la vie. On voit les choses avec les yeux de cet enfant, qui ne porte ni jugement sur les gens, ni mépris, il constate juste, il voit la vérité, sans salissure, sans dédain, car il est dans cette vie. On ne peut être que touchés car ce qu’il raconte est au fond dur, très dur mais il rend ça beau parfois ou sans gravité d’autres fois. Sans doute car il est élevé par une femme qui a un grand amour pour lui et qui le protège en lui donnant un regard autre sur cette vie.

Madame Rosa est une femme pourtant marquée, marquée par son passé de juive déportée. Elle a donc des frayeurs nocturnes et s’est fait une sorte d’abri dans sa cave, au cas où on viendrait la chercher à nouveau. « C’est pas nécessaire d’avoir des raisons pour avoir peur, Momo« , voilà ce qu’elle lui dit quand il lui demande pourquoi elle va parfois se cacher dans la cave, pourquoi elle a peur. Et au fur et à mesure qu’elle se voit vieillir et que sa santé se détériore, elle rappelle bien à Momo qu’elle ne veut pas aller dans un hôpital : « Elle ne voulait pas entendre parler d’hôpital où ils vous font mourir jusqu’au bout au lieu de vous faire une piqûre. Elle disait qu’en France on était contre la mort douce et qu’on vous forçait à vivre tant que vous étiez encore capable d’en baver ».

Momo va rencontrer un jour une femme, qui s’avérera être une personne clé dans son avenir. Il rencontrera son prétendu père qui lui fera une révélation de taille…

Je n’en dirais pas plus pour vous laisser découvrir ce roman magnifique, empli d’humanité, d’amour et d’émotions incroyables. C’est d’une grande pureté, pureté dans les sentiments, pureté dans le don de soi à l’autre, la protection, la fidélité, la loyauté. On y côtoie plusieurs nationalités qui se mêlent, s’entraident sans différence qui pourraient leur nuire, mais des différences qui sont au contraire des richesses pour les uns et les autres.

Et la fin m’a complètement bouleversée…

coup de coeur

Quelques citations :

« Lorsqu’on s’occupe des enfants il faut beaucoup d’anxiété, docteur, sans ça ils deviennent des voyous ».

« Je me souviens que je lui ai dit ça très franchement, il faut maigrir pour manger moins, mais c’est très dur pour une vieille femme qui est seule au monde. Elle a besoin de plus d’elle-même que les autres. Lorsqu’il n’y a personne pour vous aimer autour, ça devient de la graisse. »

« Si le coeur s’arrête, on ne peut plus continuer comme avant et si la tête se détache de tout et ne tourne plus rond, la personne perd ses attributions et ne profite plus de la vie ».

« Il est venu faire la piqûre à Madame Rosa mais ça a failli mal tourner parce qu’il s’est trompé d’ampoule et il avait foutu dans le cul à Madame Rosa la ration d’héroïne qu’il se réservait pour le jour où il aurait fini sa désintoxication. »

« La meilleure façon de se procurer de la merde (..) c’est de dire qu’on s’est jamais piqué et alors les mecs vous font tout de suite une piquouse gratis, parce que personne ne veut se sentir seul dans le malheur. Le nombre de mecs qui ont voulu me faire ma première piquouse, c’est pas croyable, mais je ne suis pas là pour aider les autres à vivre, j’ai déjà assez avec Madame Rosa. Le bonheur je vais pas me lancer là-dedans avant d’avoir tout essayé pour m’en sortir. »

« Momo…Momo…Momo… C’était tout ce qu’elle avait moyen de dire mais ça m’a suffi. J’ai couru l’embrasser. Elle sentait pas bon parce qu’elle avait chié et pissé sous elle pour des raisons d’état. Je l’ai embrassé encore plus parce que je ne voulais pas qu’elle s’imagine qu’elle me dégoûtait. »

« Madame Lola est d’un naturel gai parce qu’elle a été bénie par le soleil d’Afrique dans ce sens et c’était un plaisir de la voir assise là, vêtue avec la dernière élégance. Madame Lola est très belle pour un homme sauf sa voix qui date du temps où elle était champion de boxe poids lourds, et elle n’y pouvait rien car les voix sont en rapport avec les couilles et c’était la grande tristesses de sa vie ».

Biographie :

Romain Gary, de son vrai nom Roman Kacew (prononcer: katsiefrusse : Кацев), est un romancier français, de langue française et de langue anglaise, né le 8 mai 1914 à Vilna (gouvernement de WilnaEmpire russe), Wilno (Pologne) après la Grande Guerre, aujourd’hui Vilnius (Lituanie), mort le 2 décembre 1980 à Paris.

Cas unique dans l’histoire du prix Goncourt, il l’a reçu deux fois (la première sous son nom de plume habituel et la seconde, en 1975, sous l’identité d’emprunt d’Émile Ajar).

Sa biographie complète ici sur ma page réservée au challenge Romain Gary, où je souhaite découvrir toute son oeuvre.

Sur ce je vous souhaite de très bonnes fêtes de fin d’année !

Cette lecture rentre dans le cadre du challenge « (Re) lisons Romain Gary » chez Delphine, le challenge Littérature francophone d’ailleurs chez Denis, le challenge « Romans cultes » chez Métaphore et le challenge « ABC babelio 2012/2013 ».

romaingary challenge-romans-cultes LittFrancophone

 critiquesABC2013